On appelle « Espace de travail » (Working space), l’espace chromatique dans lequel travaillent les logiciels graphiques. Ainsi le paramétrage des préférences de Photoshop réclame de préciser les espaces RVB et CMJN par défaut dans lesquels on souhaite retoucher ou convertir les images. Ces paramétrages et leur prise en considération lors des traitements ultérieurs sont fondamentaux pour la qualité des images imprimées.
Espace de travail RVB
Il n’existe pas de normes en ce qui concerne les espaces de travail RVB. Leur choix en est laissé au libre arbitre des personnes chargées de la génération et de la retouche des images. Pour autant, en environnement productif il est important de déterminer le ou les espaces RVB en vigueur. Il est absolument déconseillé en effet que chacun, au sein d’un atelier graphique, utilise un espace de travail particulier, car cela irait à l’encontre de toute logique collaborative.
Quelle que soit la méthode de travail retenue, il est de toute façon impératif que toute image RVB, destinée à un traitement prépresse, soit taguée de son profil ICC (en environnement productif de celui de l’espace de travail RVB retenu). Chaque traitement devant impérativement tenir compte de l’espace de travail initial de l’image sous peine de trahir les intentions de son auteur et de dénaturer le travail de retouche déjà effectué.
Un espace de travail RVB se définit selon trois facteurs ;
– son gamut, délimité par les valeurs XYZ des primaires RVB utilisées ;
– son point blanc ;
– son gamma.
Il n’est pas possible de travailler dans l’intégralité de l’espace chromatique XYZ. En premier lieu parce qu’aucun moniteur graphique du marché ne sait en reproduire l’intégralité des couleurs, mais surtout, car les conversions chromatiques numériques s’effectuent sur une échelle de 8 bits par canal. Ce codage n’offre pour les traitements colorimétriques qu’une profondeur de 2 élevés à la puissance 8, soit de 256 niveaux par canal, pas un de plus. Observé sous cet angle, un espace RVB est un cube de 256 x 256 x 256 niveaux. Ce qui représente tout de même plus de 16 millions de nuances. Vouloir coder numériquement un espace de couleur trop important revient à travailler avec des niveaux trop larges englobant chacun trop d’informations (trop de nuances) et produisant au final un effet de postérisation des images. La difficulté dans le choix de l’espace de travail RVB réside donc dans le fait qu’il ne doit être ni trop petit, ni trop grand. S’il possède un gamut trop étroit, il ne sera pas à même de rendre compte des couleurs d’une impression offset normalisée sur papier couché. Si en revanche on le choisit avec un gamut trop large, le travail de retouche des images se traduira fatalement par un effet de postérisation.
Effet de postérisation (en bas) par l’application d’un profil Wide Gamut sur une image
représentant l’ensemble des nuances RVB (vue partielle).
La seule règle unanimement retenue consiste à tenir compte impérativement de la destination finale des images. C’est autour du gamut de destination (pour ce qui nous intéresse, de celui d’une impression offset) que doit s’effectuer le choix du gamut RVB de départ utilisé dans les opérations de prépresse.
Deux écoles
Il existe globalement deux écoles. L’une consiste à vouloir impérativement que l’espace de travail RVB englobe l’espace de travail de séparation CMJN. En d’autres termes, le gamut de l’espace RVB doit contenir celui du Fogra 39, référence de l’impression offset normalisée sur papier couché. C’est le choix que l’on fait lorsque l’on choisit les espaces Adobe RGB (1998) ou eciRGB v2.
L’autre école préconise de resserrer au plus près le gamut de l’espace de travail RVB autour de celui du Fogra 39, au risque d’en exclure une petite partie, en particulier dans les tons Cyan.
Il existe des tons saturés reproductibles en offset, en particulier dans les Cyan, difficilement reproductibles par le tube cathodique ou la dalle LCD d’un moniteur. C’est pourquoi ces tons sont exclus du gamut de l’espace sRGB basé sur une moyenne estimée des moniteurs du marché. Les tons Cyan sont obtenus par synthèse aditivive sur un moniteur RVB par le mélange des colorants Bleu et Vert. Par conséquent, pour reproduire des Cyan saturés, un moniteur à large gamut (comme un espace de travail RVB) doit disposer de colorant Bleu et Vert eux-mêmes extrêmement saturés, ce qui élargit le gamut non seulement vers les tons Cyan saturés, mais étalement vers les Bleu et les Vert très saturés. Or la sensibilité humaine aux couleurs n’est pas uniforme. L’oeil est beaucoup plus sensible aux différences dans les Rouge et les Bleu qu’il ne l’est dans les Vert.
En s’imposant d’élargir le gamut d’un espace de travail vers la petite partie des tons Cyan saturés reproductible en Offset, mais pas sur un moniteur classique, on élargit exagérément ce gamut vers les Vert saturés, non reproductibles en offset. Ce faisant on attribue des ressources aux codages de nuances de couleur non seulement inutiles pour l’impression offset (car non imprimables), mais également non perceptibles par l’oeil humain ! Cela au risque de postériser les images.
La vision humaine n’est pas perceptuellement uniforme.
Ici chaque segment de droite représente la même différence perceptuelle de la couleur par l’œil humain.
D’autres arguments militent en faveur de l’adoption du sRGB comme espace de travail RVB. La plupart des appareils photo du marché livrent en effet leurs photos déjà dans cet espace. Il ne sert à rien alors d’effectuer une conversion de profil à profil vers un espace plus vaste, car l’espace propre à la photo n’en occuperait alors toujours une partie, sauf à dénaturer les couleurs initiales. Le petit cube RVB de l’appareil photo s’inscrivant dans le grand cube de l’espace de travail, mais perdant de sa finesse (de sa résolution en matière de nuances). Ce faisant, au lieu d’utiliser l’ensemble de la profondeur numérique à notre disposition, nous n’en utiliserions qu’une partie.
L’adoption d’un espace de travail à large gamut n’a de véritable sens que si l’on dispose au départ d’images professionnelles capturées dès le départ par un dispositif à large gamut (scanner ou dos photographique) et que l’on souhaite les imprimer sur un dispositif d’impression lui-même à large gamut par exemple un labo photographique professionnel (et non pas grand public).
Espace de travail CMJN
L’espace de travail CMJN à adopter en Europe est sans conteste le Fogra 39 ou désormais le Fogra 51 qui est son évolution selon la dernière mouture de la norme ISO 12647-2:2013 . Un profil ICC « Coated Fogra 39 (ISO 12647-2:2004) » est livré avec Adobe CS. On peut également télécharger un des profils développés par l’ECI (www.eci.org) ISO Coated v2 (ou ISO Coated v2 300 %) ou le nouveau profil PSO Coated v3 (Fogra 51). Il s’agit des espaces colorimétriques moyens d’impression offset normalisée sur papier couché (les premiers selon l’ISO 12647-2 amendée en 2007, le dernier selon l’ISO 12647-2:2013). Un profil Fogra 39 ou Fogra 51 est à attribuer par défaut aux images et fichiers qui vous parviennent sans profil attaché ni autres indications.
Attention, alors que l’on peut concevoir un flux de production qui normaliserait en amont toutes les images RVB dans l’espace de travail sRGB, il est déconseillé de normaliser les images CMJN en Fogra 39 ou en Fogra 51, alors qu’elles ont été déjà séparées vers un autre espace colorimétrique CMJN. Les conversions de profil à profil CMJN vers CMJN sont à manier avec une extrême délicatesse et la normalisation en Fogra 39 devrait toujours être effectuée par des logiciels spécialisés faisant appel à des profils de liaison (Device link profile). Dans tous les cas, bannissez lors d’une conversion CMJN-CMJN le mode colorimétrique « Perceptuel » qui, dans ce cas, peut réduire considérablement le gamut de vos images. Le mieux, à ce stade, est de conserver les images qui vous parviennent déjà séparée en leur conservant ou en leur attribuant le profil ICC correspondant à leur séparation effective.
Même si vous savez déjà que les documents en préparation sont destinés à une impression sur papier non couché (ou sur papier journal), n’adoptez pas d’autres espaces de travail CMJN que le Fogra 39 ou le Fogra 51. Ce n’est pas à ce stade de la production que l’on doit prendre la responsabilité de brider l’espace colorimétrique d’une image, sauf bien entendu instructions impératives contraires de votre donneur d’ordre.
Pour résumer, et sauf impératifs contraires, le meilleur conseil que l’on puisse donner est de choisir l’espace sRGB comme espace de travail RVB et l’espace de travail Fogra 39 ou (de péférence aujourd’hui) Fogra 51 comme espace de travail CMJN.